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Avec Jidar, le street art sort de sa zone de confort

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Placée sous le signe de la délicatesse, la 9e édition du Festival de Street Art Jidar s’achève avec succès et dévoile une douzaine de murales inédites dans les rues de la capitale. Si ce rendez-vous artistique est désormais incontournable, il ne cesse de surprendre, de questionner, décloisonner et renouveler ses manières de faire. 

« J’ai plein d’amis qui rêvent de participer à Jidar. C’est l’un des meilleurs festivals de street-art au monde ! », lance Txemy, artiste espagnol de renommée mondiale, devant un parterre de jeunes étudiants en art, qui ne boudent pas leur plaisir… Salah Malouli, directeur artistique du festival, est lui bien trop modeste pour s’enorgueillir. Pourtant, le chemin parcouru depuis la première édition de Jidar en 2015 et sa réputation de fief d’expérimentations sont incontestables. Cette année encore, le festival faisant la part belle à l’abstrait, au figuratif ou à l’hyperréalisme, a permis à douze artistes venus de huit pays différents de laisser leur empreinte sur les murs de la capitale.

Vue de la fresque réalisée par l'artiste argentin Facio pendant le festival Jidar. © Youssef Elbelghiti

Faire tomber les murs

Fidèle du festival, Txemy n’en est pas à son premier coup de pinceau. Mais pour cette 9e édition, qui s’est tenue du 18 au 28 avril 2024, Salah Malouli lui a suggéré une approche inédite : lier sa pratique de street art à celle d’un solo show accompagné d’une performance musicale, à l’Atelier Ambigu. L’artiste originaire des Îles Canaries opère ainsi une jonction entre l’espace public et les murs d’un espace d’art privé. Derrière ce projet intitulé sobrement Out/In Street Art, c’est tout une philosophie qui se décline; l’ADN expérimental de Jidar qui s’exprime. Après neuf ans d’existence, le festival continue en effet de questionner les étiquettes et bousculer les codes, sans jouer les poseurs.

Si la « dichotomie intérieur-extérieur » existe, elle n’est pas un principe sacro-saint, selon Salah Malouli. « Nous faisons de l’art contemporain, mais pas au sens d’un white cube, avec des expositions commerciales, comme on l’entend ici. Cette expérience avec Txemy, c’est une première : on lui demande de penser son œuvre murale à partir d’un travail de résidence et d’une performance dans une galerie, de les faire entrer en résonance. C’est un work in progress, on essaie de trouver notre propre chemin », précise-t-il, sans une once de prétention.

Conscients de représenter une discipline artistique singulière, qui se redéfinit au gré des coups de pinceaux et jets de sprays avec une farouche inventivité, Salah Malouli et son équipe décloisonnent aussi bien les espaces que les mentalités. Car ce que cet infatigable quadra et ses compagnons de l’association EAC-L’Boulvart craignent avant tout, c’est le conformisme et la mollesse de la zone de confort. « Nous ne voulons pas proposer des œuvres uniquement parce qu’elles sont belles, ou des artistes parce qu’ils plaisent a priori », annonce-t-il sans détour. Une entreprise de déconstruction conceptuelle qui passe par des gestes simples comme celui de repenser l’affiche du festival –  un triptyque horizontal, une œuvre à part entière cette année – mais également par la grande liberté accordée aux artistes. 

Militant de la cause animale, l’artiste grec Fikos convoque une figure de sainte protectrice, portant contre son cœur un singe de Barbarie. © Salah Eddine Es Sellak

De la délicatesse avant tout 

Sous sa casquette bicolore, il esquisse d’ailleurs un rictus lorsqu’on lui demande qu’elle est la « thématique du festival » – une expression que Salah troque volontiers contre la notion « d’intention ». « Si on impose un thème, on perd la spontanéité, la liberté de création des artistes. En revanche, on a opté pour l’idée de la délicatesse dans cette édition », explique-t-il. « De cette intention découle notamment le choix des artistes », signale le directeur artistique. Leur pratique artistique, dans sa grande diversité, concorde en effet avec cette attention… Des dizaines de mètres de douceur et de poésie habillent ainsi la ville.   

Par ailleurs, chaque artiste a eu le souci de s’imprégner de la culture locale. La talentueuse Kaori Izumiya tisse ainsi sur des dizaines de mètres une subtile combinaison entre ses racines nippones et les influences marocaines, en introduisant les roses de Kelaat Magouna – « fleur emblématique du pays, selon (ses) recherches » explique timidement la muraliste. Une khmissa blanche sur fond bleu éloigne le mauvais œil de la fresque monumentale de l’artiste portoricain Alexis Diaz, dans le quartier L’Océan. Quelques rues plus loin, Fikos, initié à la peinture byzantine et l’iconographie religieuse, recouvre son ancienne murale Les pommes d’or du jardin des Hespérides, réalisée en 2017. Militant de la cause animale, l’artiste grec convoque pour cette édition une figure de sainte protectrice, portant contre son cœur un singe de Barbarie, espèce endémique menacée d’extinction. En front de mer, NeSpoon qui fait habituellement dans la dentelle, reprend les entrelacs et motifs floraux du « gebs » (les sculptures marocaines sur plâtre, ndlr), tandis que les hachures techniques et minutieuses de Facio répondent aux pixels proches du zellige de Kartelovic…

L'artiste Majda Jarbili travaillant sur sa fresque le 11e jour du festival. © Salah Eddine Es Sellak

L’art du partage 

Dans un collège de Yacoub El Mansour, c’est une collaboration entre le jeune Casablancais Ayoub Lyaacoubi aka Acoby et le Tétouanais Houssam El Ghallal qui colore les murs. Ils reprennent tous deux leurs motifs de prédilection : la nature et les plantes pour le premier et le personnage anthropomorphe « hamama », sa colombe « super star » double symbole de paix et de Tétouan. Pour ces jeunes muralistes, c’est une fierté et un challenge d’apposer leurs pattes sur « leur premier mur ». Ils ont fait ensemble leurs armes à l’Institut des Beaux Arts de Tétouan (INBA); mais c’est à Jidar et son indétrônable mur collectif qu’ils doivent leur apprentissage des muraux.

Cette année, la nouvelle vague d’apprentis muralistes a fait ses premiers pas sous le regard bienveillant de deux piliers du street art marocain, Mohamed Touirs, aka Ed Oner et  Ayoub Ftili dit Basec. Selon Salah Malouli, l’expérience du mur collectif dépasse l’art du geste pour offrir une surface d’échanges où l’empathie prend tout son sens. Le festival, véritable incubateur de talents, entend en effet surtout transmettre des valeurs, une discipline et une éthique de travail, souligne Salah Malouli. « C’est pour cette raison, que nous tenons à mettre tous les artistes sur le même pied d’égalité, le novice comme l’artiste de renommée internationale; pour encourager cet échange. » Un apprentissage par capillarité !

Première participation pour les jeunes artistes Acoby et Houssam El Ghallal. © Youssef Elbelghiti

Hind Khourcha, directrice de production du festival, ajoute que cette philosophie infuse au-delà du festival. « Nous avons invité cette année le peintre Mohammed Mourabiti, le photographe Khalil Nemmaoui, le jeune collectif de Tiznit L’blend et le digital artist Blizzart à découvrir Jidar de l’intérieur, pour un partage de savoir-faire et d’expérience ». Une façon de faire germer des idées, de stimuler de nouvelles inspirations. « Nous adorerions créer de futures synergies. Une collaboration entre Mourabiti et Salah Malouli, ça serait un choc des titans », s’enthousiasme-t-elle.

École du regard, le festival joue également un rôle de tremplin. A l’instar d’Acoby et Houssam El Ghallal, Majda Jarbili, ancienne du mur collectif des précédentes éditions, réalise également sa première murale. Un défi relevé avec brio par cette jeune casablancaise, habituée aux contrastes et monochromes. Elle signe une œuvre sensible, en explorant une palette aux tons doux, dans les verts et les rouges, pour une « très légère allusion politique » lance-t-elle, en souriant. « C’était une prise de risque certes, mais un risque calculé de programmer autant de jeunes artistes, réalisant leurs premières fresques » sur le line-up principal, déclare le directeur artistique. « Nous les suivons depuis de longues années et savons de quoi ils sont capables.»

À ce jour, plus de 100 fresques ornent les parois de Rabat. Et Jidar ouvre toujours plus la voie à la nouvelle génération, cherchant de nouveaux terrains d’expression et créant ainsi « les conditions de sa durabilité », sans jamais craindre de pousser les murs…

Houda Outarahout

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